Fi du chocolat tout industriel ! Certains maîtres chocolatiers se sont emparé de la tendance « de la fève à la tablette » (« bean to bar ») pour élever le chocolat au rang des produits d’excellence, au même titre que le vin. Incursion dans le temple des gourmands.
Gourmands, nous savions, depuis longtemps, que nous l’étions. Mais bêtes, nous avions, disons, quelques soupçons. Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué. Noël, Pâques, anniversaires, goûters des enfants, petit carré avec le café, grosse fringale après rupture… A chaque fois, le chocolat était là. Alors, pardon d’avance pour ceux qui savaient déjà, mais nous, nous ne savions pas. Lorsque nous avons été invités à découvrir une « fabrique artisanale de chocolat », quelle ne fut pas notre déception de réaliser que la matière première de cet atelier était… du chocolat ! Oui, du chocolat tout fait, en grosses plaques, en « couvertures », comme on les nomme dans le métier. C’est simple : plus de 90% des maîtres chocolatiers de France et de Navarre travaillent du chocolat fabriqué par des industriels. C’est un peu comme si les vignerons travaillaient à partir de jus tout faits !
De la fève à la tablette
Heureusement, nous avons eu le bonheur de rencontrer Richard Sève, près de Lyon, lors de l’inauguration de son MUSCO, un musée – manufacture du chocolat qui met à l’honneur la tendance de « la fève à la tablette » : « bean to bar ». Ce mouvement, malgré son nom, est né en France. Comme souvent, il a été lancé par des pionniers, comptant parmi l’excellence de la profession. Notre tradition viticole pourrait être à l’origine de cet engouement. A l’instar des vins, le chocolat aurait ses grands crus et ses « cépages ». Il devient ainsi, non pas une friandise, mais l’expression d’un terroir. Cette vision change tout.
Des pionniers
Dès les années 1980, Raymond Bonnat (bonnat-chocolatier.com), dans les environs de Grenoble, fut l’un des premiers à confectionner son chocolat à partir de la matière brute, la fève. Si quelques rares chocolatiers suivirent son exemple, l’électrochoc général eu lieu bien plus tard. En l’an 2000, une circulaire européenne autorisa les industriels à intégrer des graisses végétales au chocolat. Outragée, la profession se mobilisa. Devant la menace de détérioration de leur matière première, certains maîtres chocolatiers entrèrent en résistance. Ils réalisèrent vite qu’ils avaient besoin, pour ce faire, de contrôler la production à la source. Et donc, de sélectionner directement sur le terrain les fèves des cacaoyers, puis de maîtriser le processus de fabrication de A jusqu’à Z. Aujourd’hui, ils sont environ une vingtaine à produire leur chocolat à partir des fèves… Uniquement 20.
L’aventure du MUSCO
Richard Sève est un passionné. De ses fèves, il pourrait parler des heures durant. La fève, c’est une pépite, sa pépite d’or. Il en connait toutes les subtilités et, à travers lui, cette petite graine revêt des allures romanesques, empreintes d’épopées fabuleuses à la recherche de la saveur pure. Désormais, il confectionne son chocolat à partir des fruits des cacaoyers (les « cabosses »), qu’il va lui-même chercher et sélectionner dans différentes contrées du monde : Mexique, Madagascar, Venezuela…
Comme pour ses prédécesseurs, cette entreprise ne fut pas une mince affaire. Il fallut partir dans des contrées lointaines, rencontrer les producteurs, sélectionner les plantations et vérifier les processus de séchage (les fèves doivent en effet fermenter une semaine environ, puis être séchées selon un processus méticuleux). Outre le choix et l’achat de la matière première, il fallut s’équiper convenablement, ce qui se révéla encore plus difficile. Torréfaction, concassage, broyage, malaxage, conchage… Chaque étape nécessite des outils pratiquement introuvables. Richard Sève finit par dégoter de vieilles machines rouillées en Allemagne et en Italie (dont l’une date des années 1940 !), puis les restaura et les remit aux normes : un véritable casse-tête !
L’expression d’un terroir
Mais, « goutez », nous dit Richard Sève : « là, il n’y a que des fèves pures et un peu de sucre ». « Croquez cette autre, là… Vous sentez la différence ? ». En effet, le goût n’est à nul autre pareil. On parle de crus, de terroir. On sent la terre, le soleil. On savoure un fruit, longtemps mûri, porté par un sol singulier patiemment travaillé. Il y a une histoire, une histoire qui explose en bouche. Entre les fèves fines du Venezuela, les petites fèves aplaties de Trinidad, les fèves puissantes de Colombie, le rare Criollo de Tabasco au Mexique… le chocolat raconte une terre, une culture, une aventure humaine.
Entre une pirogue de Parati, des fétiches ou des amulettes, le MUSCO relate la passionnante histoire du cacao. On sait désormais que la première utilisation de la fève fut cérémonielle. On l’attribue aux Mokayas, aux environs de 1900 avant J.C., au Mexique. Aujourd’hui encore, certains paysans des hauts plateaux du Mexique et du Pérou continuent de porter un culte sacré à cet arbre…
MUSCO
Musée – manufacture du chocolat
324 allée des Frènes / Parc du Puy du Fou
69 760 Lyon – Limonest
Sur le web : http://chocolatseve.com
Quelques-uns des maîtres-chocolatiers pratiquant le « bean to bar » :
Raymond Bonnat (bonnat-chocolatier.com)
Marc Cluizel (www.cluizel.com),
François Pralus (chocolats-pralus.com),
Pierre Marcolini (https://eu.marcolini.com),
Philippe Bernachon ( bernachon.com),
Edouard Hirsinger (www.chocolat-hirsinger.com),
Pierre Hermé (www.pierreherme.com),
Frédéric Bau (www.umia.fr),
Philippe Bel (www.chocolatphilippebel.fr),
Franck Fresson (www.fresson-chocolatier-patissier.fr),
Vincent Guerlais (www.vincentguerlais.com),
Nicolas Berger (de la manufacture de chocolat d’Alain Ducasse : www.lechocolat-alainducasse.com),
Jean-Paul Hévin (www.jeanpaulhevin.com),
Chocolaterie Morin (http://chocolaterie-morin.com),
Patrice Chapon (www.chocolat-chapon.com),
Marou Chocolat (http://marouchocolate.com),
Claudio Corallo (claudiocorallo.com)…
2 commentaires
Merci pour votre article !
Vous pouvez trouver d’autres chocolatiers bean-to-bar éthiques sur mon site web : delikats.com !
Bonne dégustation ! 😉
Merci pour votre commentaire ! En effet, une belle sélection de chocolat bean-to-bar en Europe et dans le monde… Bravo !