A Arles, deux projets culturels phares ont été inaugurés cet été : le Muséon Arlatan et LUMA Arles. Si tout deux sont le fruit de longues années de travail, le second a également impulsé une métamorphose de la ville, plus éclatante d’année en année, et lui promet, sous peu, le rang de nouvelle capitale culturelle. Dans les coulisses de cette transfiguration urbaine œuvrent des femmes et des hommes : créateurs, chefs, architectes, mais aussi, non loin, manadiers, gardians, dresseurs ou naturalistes… Car Arles plonge ses racines en Camargue, une terre d’eau et de lumière formée par le delta du Rhône. Sa beauté subjugue et refuse de se résumer. L’occasion d’une virée de la ville à la mer !
Cet article a été publié dans le magazine Le Temps d’Un Voyage (juin 2021)
ARLES, NOUVELLE CAPITALE CRÉATIVE
En déambulant dans la ville, j’ai l’impression de tourner les pages d’un livre d’histoire. De poser mes pas dans ceux des Romains, de Fréderic Mistral ou de Vincent Van Gogh. Les Romains en firent leur Arelate, surnommée la “petite Rome des Gaulles”, un axe commercial majeur et résidence de l’empereur Constantin. De cette époque glorieuse demeurent de fabuleux vestiges : les Arènes, le théâtre antique, les Alyscamps, les termes…
Ici les siècles défilent à travers les pierres, égrenant quelques bijoux comme, par exemple, le tympan du XIIe siècle de l’ancienne cathédrale Saint-Trophime. “Le café le soir”, “La nuit étoilée”, “La maison jaune” : je saute ensuite à la fin du XIXe pour suivre les traces de Van Gogh, qui séjourna à Arles lors d’un court mais intense épisode de sa vie. Toujours au XIXe siècle, le poète et prix Nobel de Littérature Frédéric Mistral eut une influence décisive sur toute la région. Pour en prendre la mesure, direction le muséon Arlaten, dont l’ouverture est imminente.
Au muséon Arlaten, une histoire dans l’histoire
Musée d’ethnographie, musée d’Arts et de traditions populaires, on préfère aujourd’hui parler de « musée de Société ». S’attachant au quotidien de la Provence du XVIIIe à nos jours, sa particularité majeure est d’avoir conservé ses collections sur plus d’un siècle. Face aux ravages de la Révolution industrielle, nait (fin XIXe) un souci de préservation des cultures locales : en Provence, Frédéric Mistral va s’en charger, avec la création du Félibrige – pour la sauvegarde de la langue provençale – et celle du musée. Il part ainsi à la rencontre des gens du territoire et collecte ce qu’on appellerait aujourd’hui un “patrimoine immatériel”. Costumes, musiques, savoir-faire, traditions, croyances…
Aujourd’hui, de par son ancienneté, le musée raconte une histoire dans l’histoire. Il retrace l’évolution de nos regards sur les us et coutumes régionaux, depuis les fameux dioramas (mises en scène avec personnages sculptés) jusqu’à la “Nouvelle Muséologie” des années 1970, où les objets apparaissent sur fond noir. Présentant le travail d’ethnographes contemporains, la dernière salle du musée est dédiée à notre propre époque : ici s’écrit aussi une page de notre histoire.
Muséon Arlaten
29-31 rue de la République – 13200 Arles
Tel : 04 13 31 51 99 / www.museonarlaten.fr
Un centre historique créatif
Outre l’impressionnant patrimoine des siècles passés, le centre historique m’étonne par l’absence d’enseignes internationales. Au contraire, les ruelles regorgent de boutiques indépendantes. Je flâne à la librairie des éditions Actes Sud, puis à la Librairie du Palais, ancienne imprimerie royale. Chez Bisous, je découvre des créations locales, dans un méli-mélo plein de fantaisie. Je m’attarde Chez Sophie Lassagne, aux céramiques rayonnantes, puis à La Parfumerie Arlésienne, aux senteurs inspirées par l’histoire de la ville (Fortunette des Baux, La Bête du Vaccarès).
Dou Bochi, “Mode Camargue”
Au rayon des créateurs, Éric Bergère – et sa marque Dou Bochi – est sans doute le plus emblématique. Inès de la Fressange dit même qu’il a inventé la “mode Camargue” ! Ce territoire lui inspira des lignes très épurées, presque monastiques, à l’image du Bochi, un de ses modèles phares, composé d’un simple rectangle de lin. Toutes ses collections sont confectionnées par trois couturières arlésiennes : autant dire qu’on ne peut faire plus local ! “Notre volonté, c’est de promouvoir la ville. L’ADN de la marque, c’est la petite quantité et l’éco-durable. On veut maîtriser notre fabrication. C’est quasiment du sur-mesure. C’est ce que l’on veut défendre”, nous explique Éric. Une autre idée de l’exclusivité, et sans doute le vrai luxe de demain (voire d’aujourd’hui) !
Boutique Dou Bochi
16 Rue Réattu – 13200 Arles
Tel : 09 82 31 07 60 / doubochi.com
Chez Rabanel, l’art du végétal
Si l’on parle “local”, il faut évidemment parler des produits de la terre et donc, de cuisine ! 21 ans d’étoiles Michelin, 1er chef étoilé au monde en bio, un des pionniers de la formule du potager à l’assiette : le curriculum vitae de Jean-Luc Rabanel est impressionnant. Pourtant, en 2021, il décide à nouveau d’innover. “Dans la vie, tout est évolution. J’ai passé ma vie entière dans les cuisines. Mais aujourd’hui, une cuisine, c’est devenu une usine de guerre, avec toute une brigade. Il n’y a presque plus de place pour l’imagination. Je ne me reconnais plus là-dedans”.
Exit donc L’Atelier (et ses étoiles), place à de nouvelles invitations au plaisir culinaire : le restaurant gastronomique devient le Greenstronome et jouxte la version bistrot, le Greeniotage. Même accueil, même service et la possibilité, pour Jean-Luc, de discuter avec tous ses clients. L’idée est d’inventer « l’Auberge 2.0 », rassemblant tout ce que l’on aimait autrefois dans un restaurant : “un moment d’expression colossal” ! L’ensemble est portée par une philosophie générale : la greenstronomie, qui prend sa source dans le végétal. Car, dans la plante, “je consomme tout : la racine, le rhizome, la tige, les fleurs et les feuilles”. Jean-Luc me confie “ici, on a une chance énorme. Autour s’étendent des cultures géniales : les Alpilles, le Gard, la plaine de la Crau (seul foin AOP au monde !), la Camargue… Cela me procure une palette aromatique magnifique”.
Les Maisons Rabanel
7 rue des Carmes – 13200 Arles
Restaurant le Greenstronome (04 90 91 07 69), Bistrot le Greeniotage (04 90 47 61 13), Bocalissime (formule à emporter), école de cuisine « Vertiges » et chambres d’hôtes
www.rabanel.com
Bazar Café, la cantine bio
Non loin, au Bazar Café, l’annonce est claire : ici, on est 100 % bio et 100 % local (enfin presque). Depuis 2018, le chef Sylvain Herrera est aux fourneaux de cette cantine arlésienne. Au menu : des brunch et des bowls équilibrés, frais et gourmands. Seule incartade : les épices. C’est simple, lorsque l’on parle “poivres”, les yeux de Sylvain s’illuminent. Et ces étincelles se retrouvent dans les saveurs d’ailleurs qui réveillent les goûts d’ici. Son secret ? Une “chasseuse d’épices” lui rapporte des trésors dégotés sur les cinq continents. Je découvre ainsi, fascinée, un poivre de Sancho : un poivre japonais dont l’étonnant goût de citronnelle a la propriété amusante de faire pétiller la langue ! Tout comme les “faux poivres” que sont les baies de la Passion ou les baies de la Paix : les unes avec un goût de réglisse, les autres de mandarine.
Bazar Café – cantine locale
8 Place Antonelle – 13200 Arles
Tel : 04 86 32 27 28
LUMA Arles, phénoménal
Je ressors les papilles en fête et j’aperçois, au loin, les volutes argentées de la “Tour”, monument emblématique de Luma Arles. C’est LE projet phénoménal de la ville. Le “Nouveau bâtiment” de l’architecte Frank Gehry se dresse au cœur de l’ancien Parc des Ateliers de la SNCF, qui compte la Grande Halle, les Forges, la Formation, la Mécanique Générale… Le tout intégré à un vaste parc arboré, réalisé par le paysagiste Bas Smets. Cet immense ensemble architectural sera dédié à la création, sous toutes ses formes : expositions d’envergure internationales, œuvres in situ, spectacles vivants, résidences d’artistes, hôtel, restaurants, espaces de recherche… L’Atelier, notamment, prototype des objets recyclant des déchets agricoles de la région : on y trouve, pêle-mêle, un polyester en tiges de tournesol, un bio laminé en balles de riz ou de la vaisselle confectionnée avec des algues. Ici s’ébauche déjà les premières lignes d’un autre futur.
Luma Arles
Parc des Ateliers – 33 avenue Victor Hugo – 13200 Arles
www.luma-arles.org
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