L’arrière-pays bordelais recèle une pépite encore méconnue : l’Entre-Deux-Mers. Son paysage vallonné offre des courbes généreuses, se pique de bosquets, de lignes de vignes et de charmants bocages. A tel point qu’on le surnomme avec bonheur la « petite Toscane bordelaise ».
Cet article a été publié dans le magazine Le Temps d’Un Voyage (juin 2021)

Éclaircissons tout de suite un malentendu. Les « deux mers » ne sont ni mers, ni océans, mais deux larges fleuves : la Dordogne, au nord, et la Garonne, au sud. Ces vastes voies navigables eurent leurs ports et, avec eux, leurs heures de gloire : les gabares transportaient jadis le bois, le vin et la pierre blonde, richesse de la région avec laquelle on construisit Bordeaux.
Entre Dordogne et Garonne s’étirent aujourd’hui vallons et champs de vignes, villages adorables et patrimoine religieux, haltes de charme et domaines viticoles. Ici étincellent des vins blancs réputés, à la fraîcheur éclatante. Autrefois associée à la culture de céréales, de tabac ou à l’élevage, la viticulture règne aujourd’hui en maître. Mais si les environs de Bordeaux arborent une physionomie mono-viticole, les confins du territoire gardent les traces de cette polyculture : plus on s’enfonce vers l’est, plus la campagne se diversifie et s’épanouit.
Cette terre attachante se prête à merveille au slow tourisme, et notamment au cyclotourisme. De Bordeaux à Sauveterre-de-Guyenne, les 65 km de l’ancien chemin de fer sont devenus voie verte… et voie royale pour découvrir l’Entre-Deux-Mer, qu’ils traversent presque de part en part. Ils marquent aussi le début (ou la fin) de l’itinéraire du Canal des Deux Mers à vélo, reliant l’Atlantique à Méditerranée via le Canal latéral à la Garonne et le canal du Midi.
ÉCHAPPÉE BELLE AU GRÉ DES VALLONS
J’enfourche mon vélo à Créon, première station vélo de France inaugurée en 2003. Ombragée et relativement plane, la voie verte me mènera jusqu’à Sauveterre-de-Guyenne, avec quelques digressions…
La première est l’abbaye de la Sauve Majeure. Ses vestiges du XIIe dégagent une atmosphère hors du temps. Colonnes dressées vers le ciel, chapiteaux romans sculptés et arcs en plein cintre s’ouvrant sur la nature provoquent tour à tour émerveillement et sérénité.
Abbaye de la Sauve Majeure
14 rue de l’Abbaye, La Sauve / Tel : 05 56 23 01 55 / www.abbaye-la-sauve-majeure.fr
L’autre trésor de l’abbaye se trouve à l’entrée : la Maison des Vins de l’Entre-Deux-Mers. Frédéric Roger m’initie à cette appellation qui produit (pour le moment) exclusivement des vins blancs. Rassemblant 142 vignerons, elle se concentre sur un terroir aux sols argilo-calcaire. Synonymes de fraîcheur, ces vins offrent des arômes d’agrumes, aux notes de citron ou de pamplemousse. Le cépage sauvignon y est roi, mais son acidité typique est temporisée par le sémillon ou la muscadelle.
La belle adresse : la Cabane dans les Vignes
Cap ensuite à la Cabane dans les Vignes, une adresse qui se chuchote de bouche à oreille. Plantée au milieu des vignes, elle jouit d’un panorama somptueux sur la Garonne. D’ailleurs, Matthieu (propriétaire et viticulteur au domaine Château Bessans) aimait déjà y venir avec ses amis : « j’ai racheté cette parcelle lorsque j’étais étudiant ! On venait ici avec mes copains et on était bien. C’est un spot de dingue ». Il décida de la transformer dans l’esprit des carrelets du bassin d’Arcachon et de l’ouvrir au public. Il y sert uniquement les vins bio du domaine, les bières d’un copain et, dans les assiettes, des planches de produits locaux : rillettes de silures (un poisson de la Garonne), bocaux de légumes, quelques fromages… L’été, tables et coussins s’éparpillent dans les vignes et des soirées musicales sont organisées.
La Cabane dans les vignes
La Côte, Tabanac / Tel : 06 63 44 53 93 / lacabanedanslesvignes.com
Les Chantiers Tramasset, une permaculture sociale
Non loin, je découvre une autre pépite : les Chantiers Tramasset. Anne-Laure, nouvelle directrice, et Paul Dupouil, son prédécesseur, aiment à dire qu’il est une « permaculture sociale » ! Je ne peux qu’acquiescer devant le foisonnement de projets et de disciplines qui s’y entremêlent. Repris par une association en 1997, ce chantier naval fut fondé en 1837 par la famille Tramasset. Il est aujourd’hui le plus vieux de France en terme de bâti : charpente de 1890, système de levée des bateaux, salle de traçage, gabarre classée monument historique ou encore une étuve, sorte de gros four à vapeur sans pression. A cela s’ajoute un carrelet contemporain, perché sur les rives du fleuve.
Paul m’explique qu’ici cohabitent aujourd’hui plusieurs pôles d’activités : « la charpente de marine professionnelle, qui prend des commandes privées ; le centre socio-culturel, avec des chantiers d’insertion, des projets éducatifs, des résidences artistiques et des évènements culturels ; et, enfin, une activité touristique avec des visites et une guinguette, L’Étuve ». Je navigue dans ce lieu aussi atypique que vivant et j’aimerais, soudainement, rester découvrir le savoir-faire du traçage des plans, expérimenter le renforcement des berges à coup de béton végétal ou confectionner du papier à base de feuilles avec les artistes en résidence…
Les Chantiers Tramasset
20 esplanade Josselin, Le Tourne / Tel : 05 56 67 61 69 / www.chantierstramasset.fr
Des villages animés
Mais Sauveterre-de-Guyenne, terminus de la voie verte, m’attend. Fondée en 1281, la ville déroule le plan en damier caractéristique des bastides : ces « villes nouvelles » dont les rues à angles droits encadrent une place centrale. Sept des huit bastides de Gironde se situent en Entre-Deux-Mers. Sur la terrasse d’une tour de garde, Henri de Toulouse Lautrec me surprend ! Ce personnage emblématique me rappelle que sa mère, la comtesse Adèle, possédait non loin le Château de Malromé, dans lequel il venait passer ses étés… Cette visite théâtralisée, proposée en été par l’office de tourisme, a lieu sur tout le territoire : à Créon, j’aurais pu croiser Anatole, mais à Castelmoron-d’Albret, je retrouve Augustine !
Augustine me guette à l’entrée de l’adorable village de Castelmoron-d’Albret qui, avec une superficie de 3,5 ha, est le plus petit de France ! De la rue des Jasmins à la rue de l’Amitié, en passant par l’insolite rue Ripe-cul, elle me raconte les trésors de cette ancienne Sénéchaussée. Venelles sinueuses, histoires pittoresques et échappées visuelles bucoliques en font une halte de charme. Sur certaines portes apparaissent quelques bijoux de roses sculptées, réalisées par le célèbre ferronnier d’art Blaise Charlut, dont je vais retrouver les créations à La Réole, où il avait son atelier.
Détour par la Réole
Devenue La Réole (« la règle ») à l’arrivée des Bénédictins, la ville abrite leur ancien prieuré, dont la magnifique grille de clôture du cloitre a été réalisée au XVIIIe par ce fameux Blaise Charlut. Labélisée ville d’Art & d’Histoire, cette cité étonnante dévoile également l’un des premiers Hôtels de ville de France : une ancienne « Jurade » offerte par Richard Cœur de Lion en 1190.
Au gré des venelles médiévales ponctuées de maisons à colombage, je rejoins le bar à vin C’Du Vin pour une halte sympathique. Charlotte Aubouin y propose uniquement des vins naturels ou en biodynamie. « Je milite pour une agriculture différente », m’explique-t-elle. « Ces vins partent du principe que la terre doit d’abord être en bonne santé : le vin est l’expression du raisin sain, tel que l’on peut le croquer dans la vigne ».
C’Du Vin : bar à vin, cuisine de marché le samedi
90 rue Armand Caduc, La Réole / Tel : 06 76 21 68 67

Chez l’artisan-chocolatier Patrick Brossard
Les papilles en fêtes, je retrouve l’artisan chocolatier Patrick Brossard, et j’apprends une chose : surtout, ne pas se fier à l’apparence désuète de sa devanture… Derrière se cache un voyage exotique et passionnant !
Artisan chocolatier au parcours professionnel exemplaire, Patrick s’est engagé dans une démarche totale : travailler le chocolat depuis la matière première, la fève. « Ma première fève venait du Venezuela. J’ai gardé le sac en mémoire », me raconte ce cacao févier, les yeux brillants.
« J’ai été révolté quand j’ai réalisé que les industriels achetaient à bas coût et mélangeaient les variétés pour faire un chocolat pas cher. Au début, on vous affirme que vous ne pouvez pas faire de chocolat et que ce sont uniquement les usines qui le fabriquent : vous devez acheter la couverture et ne pouvez pas travailler la fève. Il faut de l’audace et de la curiosité pour essayer. C’est ce que j’ai fait il y a 10 ans. Et je me suis aperçu que j’arrivai à faire du chocolat, sans rajouter de lécithine de soja. Aujourd’hui, je me bats pour qu’on arrête de vendre le chocolat en fonction du pourcentage ! ».
Ses yeux pétillent lorsqu’il nous parle de son cru planteur de Côte d’Ivoire ou de la variété Amenorado qui pousse uniquement à Haïti. Il me raconte (et me fait goûter !) les arômes acidulés de Madagascar ou de Papouasie, la douceur de la République Dominicaine, l’intensité du Vietnam ou de Sao Tomé… Notes boisées, épicées, florales ou d’agrumes dansent dans mon palais ébahi. Sa passion se retrouve à toutes ses étapes de confection, notamment à travers une technique de torréfaction bien spécifique : une cuisson basse température qui permet au chocolat de garder toute l’identité de son goût.
Patrick Brossard Chocolatier
9 rue Gambetta, La Réole / Tel : 06 45 97 92 98
Balade le long du canal de Garonne
Gourmandises en poche, je rejoins Castets-en-Dorthe, terminus (ou départ) du canal de Garonne. Au gré d’écluses, de hauts platanes, de péniches amarrées, de maisons d’éclusier et de petits ponts, la balade ombragée est si agréable qu’il me semble tout à fait envisageable de continuer ainsi… jusqu’à Sète !
TROIS MAISONS D’HÔTES COUP DE CŒUR
La Bastane
Au cœur d’un domaine viticole, cette maison d’hôtes en position dominante offre un panorama sublime. Les lignes de vignes pointent à l’orée des vieilles pierres, des chemins de traverse invitent à la balade et, en contrebas, la Garonne coule ses eaux majestueuses. Anaïs et Bastien irradient aussi sur ces terres cultivées en biodynamie : ils en ont fait un écosystème familial, empli de joie de vivre.
1 Espinglet, Rions / Tel : 06 72 44 42 36 / labastane.com
La Maison des Quatre Saisons
Delphine a tout quitté pour venir s’installer ici avec sa famille. On comprend aisément son coup de cœur pour cette ferme, ouverte sur le paysage alentour. L’ancienne étable accueille désormais un magnifique salon d’hôte, le bâtiment cinq chambres haut de gamme et le ravissant jardin, une piscine chauffée. On se régale aussi à sa table d’hôtes, à base de produits locaux.
5 Limousins Nord, Les Esseintes / Tel : 05 56 71 25 75 / www.maisondesquatresaisons.com
Le Clos d’Any
Ici, la convivialité n’est pas un vain mot ! Plus de 7 ans qu’Any et Sylvain chouchoutent leurs clients, et cela se sent. Parfaitement aménagé, cet ancien moulin du XIIe siècle abrite 5 chambres à la décoration exotique : Indonésie, Brésil, Maroc ou Cameroun… On profite également d’une piscine, d’un espace bien-être (Jacuzzi, sauna et hammam), ainsi qu’une table d’hôtes parfaitement gourmande.
1 Lardon, Fontet / Tel : 05 56 61 26 90 / leclosdany.com
CARNET D’ADRESSES EN ENTRE-DEUX-MERS
Castrum de Pommiers
Le castrum n’est pas un vieux château, mais un ancien bourg médiéval, fief des Seigneurs de Pommiers. Entre remparts, logis seigneurial, chapelle consacrée, maison de maître XIXe et majestueux cèdre pluri-centenaire, l’endroit est idyllique pour déguster les crus bios du domaine. Certains incorporent du Sémillon Gris, un cépage peu répandu aux arômes de fruits exotiques !
Saint-Félix-de-Foncaude / Tel : 05 56 71 65 16 / www.castrum-de-pommiers.fr
Château du Payre
Le Vic, Cardan / Tel : 05 56 62 60 91 / www.chateau-du-payre.fr
Château les Maubats
Christophe Cadis travaille sa terre avec amour. Cultivant ses 8 ha en agriculture biologique, il savoure d’y découvrir, parfois, quelques orchidées sauvages. Ses « accueils vignerons » sont l’occasion de s’initier à la dégustation !
Les Joussaumes, Roquebrune / Tel : 05 56 61 68 36 / www.chateau-les-maubats.fr
Maison des vins de l’Entre-Deux-Mers
Billet jumelé avec l’abbaye
16 rue de l’Abbaye, La Sauve / Tel : 05 57 34 32 12 / www.vins-entre-deux-mers.com
Créon, station vélo
Location de vélos, animations
60 bvd Victor Hugo, Créon / Tel : 05 57 34 30 95 / www.station-velo-creon.fr
Les Cycles du Canal
Location de vélos toute durée (livraison possible).
4 bis rue Grossole, Castets-en-Dorthe / Tel : 05 56 27 05 81 / lescyclesducanal.com
Entre-Deux-Mers Tourisme : www.entredeuxmers.com
Gironde Tourisme : www.gironde-tourisme.fr
Canal des Deux Mers à vélo : www.canaldes2mersavelo.com